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Clause réputée non écrite et office du juge
Cass. 3e civ., 25 janv. 2024, n° 22-22.036, B
Mots-cles
Copropriété • Charges • Répartition • Clause réputée non écrite • Nullité (non) • Office du juge • Nouvelle répartition
Textes vises
Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ‒ Articles 10 et 43
Repere
Le Lamy Droit immobilier 2023, nos 5076 et 5086
Lorsqu’il relève qu’une clause du règlement de copropriété relative à la répartition des charges n’est pas conforme aux dispositions légales, le juge doit la déclarer non écrite et non l’annuler. Il doit ensuite établir une nouvelle répartition des charges en fixant lui-même toutes les modalités que le respect des dispositions d’ordre public impose et non ordonner au syndicat d’y procéder.
Analyse
Un copropriétaire acquiert en 2009 un lot dans un immeuble dont l’état descriptif de division a été modifié à plusieurs reprises entre 1968 et 2002, sans que le règlement de copropriété, établi en 1964, ne l’ait été. Les charges ayant été appelées sans tenir compte des modificatifs, il en demande le remboursement depuis son acquisition, en soulevant le caractère illicite de la clause du règlement de copropriété initial et sollicite l’établissement d’une nouvelle répartition. La cour d’appel de Caen prononce la nullité de la clause contestée comme n’étant plus conforme à l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 au regard des modificatifs de l’état descriptif de division ayant modifié, ajouté ou divisé des lots. Elle ordonne au syndicat des copropriétaires d’effectuer une nouvelle répartition des charges conforme à ces modifications ainsi qu’aux critères fixés à l’article 10 de la loi. À l’appui de son pourvoi, le syndicat des copropriétaires invoque l’absence de respect des dispositions de l’article 43 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019. Cet article prévoit, en son premier alinéa, que sont réputées non écrites toutes clauses contraires aux dispositions d’ordre public qu’il énumère, et en particulier celles relatives à l’article 10 de la loi concernant la répartition des charges. L’alinéa 2 du même article ajoute que lorsque le juge déclare illicite une clause relative à la répartition des charges, il procède à leur nouvelle répartition. C’est en conséquence à un double titre que la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Tout d’abord, le fait de déclarer une clause non écrite ne peut être assimilé à une annulation de la clause. Ensuite, lorsqu’il déclare une clause illicite en vertu de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965, le juge a l’obligation de procéder à la nouvelle répartition. I ‒ Distinction entre clause nulle et clause réputée non écrite L’article 43 de la loi prévoit expressément que les clauses contraires aux dispositions légales et réglementaires qu’il énumère ne sont pas nulles, mais réputées non écrites. Leur régime n’est pas de même nature. Les conditions et les conséquences attachées à la reconnaissance d’une clause réputée non écrite diffèrent sensiblement de celles afférentes à la nullité. Il en est ainsi en ce qui concerne la prescription de l’action. Selon la jurisprudence, c’est à tout moment que tout copropriétaire, voire le syndicat lui-même, peut solliciter de voir déclarer non écrite une clause du règlement de copropriété contraire aux dispositions d’ordre public visées par l’article 43 de la loi. Il s’agit d’une action imprescriptible. S’agissant d’une nullité, l’action en annulation serait enfermée dans le délai de prescription de cinq ans de droit commun auquel renvoie désormais l’article 42 de la loi de 1965. Les sanctions qui leur sont respectivement attachées sont également très différentes. L’annulation a un effet rétroactif, comme si la clause annulée n’avait jamais existé. En matière de répartition des charges, cela entraînerait en conséquence un remboursement de celles-ci. En revanche, et bien que dans sa version antérieure à l’ordonnance du 30 octobre 2019, l’article 43 ne le prévoyait pas expressément, la jurisprudence, depuis un arrêt de principe du 10 juillet 2013, décide que la décision judiciaire qui répute non écrite une clause relative à la répartition des charges n’a pas d’effet rétroactif. La nouvelle répartition à laquelle procède le juge en application de l’article 43, alinéa 2, de la loi n’a d’effet que pour l’avenir, après que la décision a acquis l’autorité de la chose jugée. Depuis lors, l’article 43 désormais complété, mais non applicable aux faits de la cause, prévoit de façon encore plus précise que cette nouvelle répartition « prend effet au premier jour de l’exercice comptable suivant la date à laquelle cette décision est devenue définitive ». Ainsi, loin de pouvoir demander au syndicat le remboursement de charges indûment perçues, le copropriétaire devra attendre parfois longtemps avant la mise en place d’une répartition conforme à la loi. L’arrêt d’appel est en conséquence censuré, à la fois pour avoir prononcé la nullité de la clause au lieu de l’avoir déclarée non écrite et pour ne pas avoir procédé à la nouvelle répartition des charges, violant ainsi doublement les dispositions de l’article 43 de la loi. II ‒ Rôle du juge et nouvelle répartition des charges En application de l’alinéa 2 de l’article 43, introduit par la loi du 31 décembre 1985, lorsque le juge déclare illicite une clause de répartition des charges, il procède à leur nouvelle répartition. L’emploi du présent révèle que le juge en a l’obligation. En pratique, le juge nomme le plus souvent un expert judiciaire afin de procéder aux calculs permettant d’établir une nouvelle grille de charges conforme aux dispositions légales, dans des conditions respectant le principe du contradictoire. Il rend ensuite une décision sur la base du rapport d’expertise. En l’espèce, la cour d’appel de Caen avait ordonné au syndicat des copropriétaires d’établir cette nouvelle répartition au lieu d’y procéder lui-même, en violation de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965. Du reste, il aurait probablement été difficile pour le syndicat des copropriétaires de déférer à cette injonction. L’unanimité de tous les copropriétaires de l’immeuble, comme l’exige l’article 11 de la loi du 10 juillet 1965 en cas de modification de la répartition des charges, aurait semble-t-il été nécessaire, à moins que la majorité de l’article 24 de la loi ait pu suffire en considération de la dérogation prévue au même article en cas d’aliénation séparée d’une ou plusieurs fractions d’un lot. Toutefois, la possibilité pour l’assemblée générale, organe souverain de la copropriété, de déclarer non écrite une clause du règlement de copropriété portant sur la répartition des charges a été récemment consacrée par un arrêt qui, cependant, ne s’est pas prononcé sur les conditions de majorité requises. Mais il est admis que l’assemblée générale puisse déclarer non écrite une clause de répartition des charges, dans le cadre des adaptations du règlement de copropriété rendues nécessaires par les modifications législatives et réglementaires intervenues depuis son établissement, c’est-à-dire à la majorité de l’article 24, f). Si la censure de la Cour de cassation n’était pas intervenue, l’assemblée générale aurait-elle pu, par conséquent, comme l’y invitait la cour d’appel, instituer une nouvelle répartition des charges conforme aux dispositions de l’article 10 de la loi, à la majorité de l’article 24, f) ? Même si la question reste entière, rien n’interdit de le penser.
Textes de la decision (extraits)
« (…) Énoncé du moyen 3. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la clause de répartition des charges résultant du règlement de copropriété et de l'état descriptif de division initiaux du 22 juin 1964 et, en conséquence, d'ordonner une nouvelle répartition des charges conforme aux modifications apportées dans les parties privatives par les modificatifs au descriptif de division opérées sur ces parties privatives depuis le 22 juin 1964 et cela en fonction des critères fixés à l'article 10 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, alors « que lorsque le juge répute non écrite une clause relative à la répartition des charges, il procède lui-même à la nouvelle répartition sans pouvoir faire fixer cette dernière par l'assemblée générale ; qu'en ayant ordonné une nouvelle répartition des charges après avoir prononcé la « nullité » de la répartition des charges d'origine, sans procéder elle-même à cette nouvelle répartition des charges et fixer toutes les modalités que le respect des dispositions d'ordre public impose, y compris la création des charges spéciales lorsqu'elle s'avère indispensable au regard de la loi, la cour d'appel a violé l'article 43 de la loi du 10 juillet 1965 ». Réponse de la Cour Recevabilité du moyen 4. M. [W] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est contraire aux écritures d'appel, dès lors que le syndicat des copropriétaires concluait au rejet de la contestation élevée à l'encontre de la régularité de la clause de répartition des charges, sans solliciter, à titre subsidiaire, l'établissement d'une nouvelle répartition. 5. Cependant, le juge, qui répute non écrite une clause de répartition des charges, est tenu, par l'effet même de la loi, d'en ordonner une nouvelle. 6. Le moyen, qui n'est pas contraire aux écritures du syndicat des copropriétaires devant la cour d'appel, est donc recevable. Bien-fondé du moyen Vu l'article 43 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 : 7. Aux termes de ce texte, toutes clauses contraires aux dispositions des articles 6 à 37, 41-1 à 42 et 46 et celles du décret prises pour leur application sont réputées non écrites. Lorsque le juge, en application de l'alinéa premier du présent article, répute non écrite une clause relative à la répartition des charges, il procède à leur nouvelle répartition. 8. Il en résulte que, lorsqu'il relève qu'une clause contestée du règlement de copropriété relative à la répartition des charges n'est pas conforme aux dispositions légales et réglementaires citées, le juge doit, d'une part, non pas annuler, mais réputer cette clause non écrite, d'autre part, procéder à une nouvelle répartition des charges en fixant lui-même toutes les modalités que le respect des dispositions d'ordre public impose. 9. Ayant retenu qu'à la suite de plusieurs modifications de l'état descriptif de division qui avaient supprimé, ajouté ou divisé des lots, la clause de répartition des charges du règlement de copropriété n'était plus conforme à l'article 10 de la loi précitée, la cour d'appel l'a déclaré « nulle » et a ordonné que soit faite une nouvelle répartition « conforme aux modifications apportées dans les parties privatives par les modificatifs au descriptif de division, opérées sur ces parties privatives depuis le 22 juin 1964 et cela en fonction des critères fixés à l'article 10 de la loi ». 10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas rempli son office, a violé le texte susvisé. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour : CASSE ET ANNULE, (…) ». Cass. 3e civ., 25 janv. 2024, n° 22-22.036, B