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Responsabilité délictuelle entre copropriétaires et responsabilité du syndicat

Cass. 3e civ., 26 janv. 2022, n° 20-23.614, B

Mots-cles

Copropriété • Action individuelle des copropriétaires • Conditions • Recevabilité • Responsabilité délictuelle du copropriétaire • Jouissance privative • Terrasses • Préjudice • Désordres • Responsabilité du syndicat

Textes vises

Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 – Articles 14 et 15 dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 – Code de procédure civile – Article 31

Repere

Le Lamy Droit immobilier 2021, nos 5528 et s.

La responsabilité du syndicat au titre de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 n'est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire.

Analyse

Victime d'infiltrations en provenance de terrasses, parties communes à jouissance privative, le titulaire d’un lot assigne en responsabilité, non pas le syndicat, mais le copropriétaire bénéficiant de l’usage exclusif, en raison des aménagements réalisés par ce dernier, lesquels sont à l’origine des désordres subis.

La cour d’appel déclare la demande irrecevable.

Selon elle, quand bien même les parties communes seraient à son usage privatif, le copropriétaire n’aurait pas qualité pour répondre des désordres qui en proviendraient, même en qualité de gardien.

Elle décide que l’action aurait dû être dirigée à l’encontre du seul syndicat, garanti par le copropriétaire indélicat, en se fondant sur le régime de la copropriété.

La Cour de cassation censure la décision d’appel au visa des articles 14 et 15 de la loi du 10 juillet 1965 dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 ainsi qu’au visa de l'article 31 du Code de procédure civile.

Selon la Haute juridiction, la responsabilité du syndicat au titre de l’article 14 de la loi, du fait des dommages causés par les parties communes, n'est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire.

La Cour régulatrice rappelle que l’article 31 du Code de procédure civile donne qualité à agir à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention « à l’exception des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

Or, en l’espèce, la loi ne limite pas le droit d’agir au seul syndicat.

Au contraire, s’il est vrai qu’en vertu de l'article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa version alors applicable, le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir en justice en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble, « tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d'en informer le syndic ».

En l’espèce, il s’agissait bien d’une action concernant la jouissance du lot situé sous les terrasses, parties communes et il n’était pas contesté, puisque cela résultait d’un rapport d’expertise judiciaire préalable, que seuls les aménagements privatifs étaient à l’origine des désordres.

Rien n’interdisait donc à la victime d’agir directement à l’encontre du copropriétaire responsable.

La particularité de cette affaire était que l’action avait été engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, en application de l’article 1242 du Code civil (ancien article 1384, alinéa 1er), selon lequel « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé du fait (…) des choses que l’on a sous sa garde ».

Or, en matière de droit de jouissance privative d’une terrasse qui est par ailleurs partie commune, la responsabilité du syndicat des copropriétaires et celle du titulaire du droit d’usage exclusif peuvent coexister, selon l’origine des désordres.

Si le règlement de copropriété n’en a pas décidé autrement, le syndicat des copropriétaires est en effet responsable de l’entretien du gros œuvre, et donc de l’étanchéité des terrasses.

En cas de défaillance, la responsabilité spéciale du syndicat au titre de l’article 14 de la loi serait engagée vis-à-vis des copropriétaires ou des tiers, pour les dommages causés par les parties communes.

Le copropriétaire qui se voit concéder l’usage privatif d’une partie commune constituée de la terrasse doit, de son côté, sauf clause contraire du règlement de copropriété, entretenir le revêtement superficiel et ne rien faire qui puisse porter atteinte à l’étanchéité par des installations ou des plantations non conformes pouvant entraîner des infiltrations.

À défaut, il serait responsable des désordres qui pourraient survenir de son fait.

Il est rare que, comme en l’espèce, le titulaire du droit de jouissance soit considéré comme étant seul responsable des désordres, les juges du fond relevant le plus souvent que ceux-ci proviennent également de la vétusté de l’étanchéité elle-même.

Un partage de responsabilité entre le syndicat et le titulaire du droit d’usage est alors généralement opéré selon un pourcentage fixé à dire d’expert.

Le fondement de la responsabilité le plus couramment invoqué est celui de la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du Code civil (ancien article 1382), en ce qui concerne le copropriétaire et celui de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 s’agissant du syndicat.

Certains auteurs ont aussi considéré que le syndicat étant en charge de la structure de l’immeuble et donc du gros œuvre dont il conservait la garde, le copropriétaire bénéficiant de la jouissance privative se voyait, de son côté, confier la garde liée à l’utilisation de la partie commune et à son entretien.

Il en résulterait une dissociation de la garde de la terrasse, partie commune à jouissance privative entre le syndicat et le copropriétaire concerné.

L’arrêt ici rapporté semble, pour la première fois, consacrer cette analyse doctrinale relative à la dissociation de la garde en matière d’infiltrations en provenance de terrasses à jouissance privative, laquelle n’avait jusqu’à présent été admise, encore qu’implicitement, que par les juges du fond.

En l’espèce, la victime de ces infiltrations ne pouvait, sans porter atteinte aux dispositions des article 15 de la loi et 31 du Code de procédure civile, se voir contrainte d’engager une action en indemnisation à l’encontre du seul syndicat à charge pour ce dernier de se retourner contre le copropriétaire responsable.

De surcroit, le rapport d’expertise ayant retenu la seule responsabilité du copropriétaire concerné dans l’origine des désordres, le syndicat était au surplus manifestement hors de cause, que ce soit sur le fondement de la responsabilité spéciale de l’article 14 de la loi comme de la responsabilité de l’article 1242 du Code civil relatif à la garde.

Du reste, même si les deux fondements continueront de coexister à l’avenir, l’article 14 de la loi du 10 juillet ne se démarquera plus véritablement de la responsabilité du fait des choses de l’article 1242 du Code civil, depuis la suppression de toute référence à un défaut d’entretien ou à un vice de construction par l’ordonnance du 30 octobre 2019, cette nouvelle rédaction consacrant l’évolution jurisprudentielle intervenue dans le sens d’une responsabilité objective.

Textes de la decision (extraits)

« (…) Vu les articles 14 et 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019, et l'article 31 du Code de procédure civile :
4. Aux termes du dernier de ces textes, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
5. Selon le deuxième, le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires, il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble ; tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d'en informer le syndic.
6. Selon le premier, le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.
7. Pour déclarer irrecevable la demande de Mme [H], l'arrêt retient que les aménagements réalisés par M. [Y] sont à l'origine des désordres subis par l'appartement du dessous et que, s'agissant des terrasses, parties communes à usage privatif, l'action doit être dirigée sur le fondement du régime de la copropriété contre le syndicat.
8. Il relève, également, que Mme [H] n'a pas formé ses demandes contre la copropriété, mais seulement contre M. [Y] qui n'a aucune qualité, même en celle de gardien, pour répondre de ces désordres.
9. En statuant ainsi, alors que la responsabilité du syndicat au titre de l'article 14 précité n'est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
10. La société Axa et M. [E], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, doivent être mis hors de cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de Mme [H] à l'encontre de M. [Y], en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance hors les appels en garantie et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; (…) ».
Cass. 3e civ., 26 janv. 2022, n° 20-23.614, B