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Action oblique d’un copropriétaire à l’encontre d’un locataire en résiliation d’un bail

Cass. 3 e  civ., 8 avr. 2021, n° 20-18.327, P

Mots-cles

Copropriété • Règlement de copropriété • Nature contractuelle • Stipulations • Respect • Action oblique • Locataire • Bail • Résiliation.

Textes vises

Code civil - Articles 1165 et 1166

Repere

Le Lamy Droit immobilier 2020, n°5076, 5194 et 5410

Tout copropriétaire peut, à l’instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d’un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété.

Analyse

Le 24 octobre 2002, un local commercial situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété est donné à bail en vue de son utilisation pour l’activité d’achat, vente de cyclomoteurs, réparation de scooters, location de véhicules sans chauffeur et activités connexes.

Le 10 septembre 2012, soit un peu moins de dix ans plus tard, le copropriétaire d’un lot contigu à ce local se plaint de nuisances sonores et olfactives.

Il assigne le locataire en résiliation du bail commercial et expulsion et, dans l’attente de celle-ci, en interdiction de toute activité de réparation de scooters dans les locaux pris à bail.

La demande du copropriétaire en résiliation du bail se fonde sur l’action oblique prévue par l’article 1166 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 1 , selon lequel «les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne ».

Les juges du fond ayant accueilli la demande de résiliation du bail, le bailleur, également mis en cause, ainsi que le preneur, se pourvoient en cassation.

Ils invoquent, tout d’abord, une atteinte excessive à la liberté contractuelle résultant, selon eux, de l’admission de l’action oblique émanant d’un copropriétaire à l’encontre d’un autre copropriétaire et d’un preneur.

Ils prétendent ensuite, qu’à supposer même qu’un copropriétaire puisse agir par la voie oblique en résiliation du contrat de bail conclu entre un locataire et son bailleur, ce ne serait qu’à la condition de démontrer la carence de ce dernier.

À cet égard, ils soulignent l’absence de toute mise en demeure préalablement adressée au bailleur lui enjoignant de faire respecter le règlement de copropriété par son locataire.

Ils dressent ensuite la liste des nombreuses diligences effectuées par le bailleur pour limiter les supposées nuisances induites par l’activité du preneur, au nombre desquelles figurent des travaux de sécurité incendie et des demandes d’autorisation de travaux soumises à l’autorisation de l’assemblée générale.

Le pourvoi est rejeté.

La Cour de cassation rappelle les dispositions de l’article 1166 ancien du Code civil permettant aux créanciers d’exercer tous les droits et actions de leur débiteur.

Puis, en application de ce texte, la Haute juridiction, citant la jurisprudence issue d’un arrêt du 14 novembre 1985 2, relève qu’en cas de carence du copropriétaire-bailleur, un syndicat des copropriétaires a le droit d’exercer l’action oblique en résiliation du bail lorsque le locataire contrevient aux obligations qui en découlent et que ses agissements sont contraires au règlement de copropriété, causant un préjudice aux autres copropriétaires.

Rappelant également la jurisprudence en ce sens 3 , la Cour de cassation ajoute que le règlement de copropriété ayant la nature d’un contrat, chaque copropriétaire a le droit d’en exiger le respect par les autres.

Il en résulte, selon elle, que titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l’instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d’un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété.

S’agissant de la carence du bailleur dans l’exécution de ses obligations, la Cour permettre le respect du règlement de copropriété, les travaux autorisés par l’assemblée générale révélant au contraire qu’ils visaient à l’acceptation des nuisances provoquées par l’activité du preneur laquelle était contraire aux stipulations du règlement de copropriété selon lequel chaque copropriétaire devrait veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants.

Cette décision ne peut qu’être approuvée.

Tout d’abord, la possibilité reconnue au syndicat des copropriétaires d’exercer l’action oblique à l’encontre du locataire, en résiliation du bail, n’est pas nouvelle et résulte d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 14 novembre 1985 cité par la Cour de cassation 4.

Mais si le principe de cette action est acquis depuis longtemps lorsqu’elle est initiée par le syndicat des copropriétaires, il n’en est pas de même s’agissant d’un copropriétaire.

La Cour de cassation, dans un arrêt publié au Bulletin, avait cependant déjà jugé recevable l’action d’un copropriétaire fondée sur une violation des stipulations du règlement de copropriété dirigée contre le locataire du copropriétaire- bailleur, sans se fonder expressément, il est vrai, sur l’ancien article 1166 du Code civil mais plutôt sur l’article 15 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 (JO 11 juill.) lequel permet à tout copropriétaire d’agir individuellement pour faire assurer le respect du règlement de copropriété 5.

Dans l’arrêt ici rapporté, la Cour de cassation se réfère d’ailleurs expressément à une décision du 22 mars 2000 6 qui avait admis que le règlement de copropriété ayant la nature d’un contrat, chaque copropriétaire avait le droit d’en exiger le respect par les autres.

Ainsi, l’intérêt à agir d’un copropriétaire pour exiger le respect du règlement de copropriété, se combine-t-il avec les dispositions permettant au syndicat des copropriétaires d’exercer l’action oblique, action que tout copropriétaire peut dès lors engager.

Encore est-il nécessaire, s’agissant de la voie oblique, d’établir la carence du bailleur à exercer ses droits et actions.

Cette nécessité a d’ailleurs encore été récemment rappelée dans un litige où déjà l’action oblique à l’encontre d’un locataire commercial avait été exercée par un copropriétaire et non le syndicat, sans que la Cour de cassation n’ait eu explicitement à se prononcer sur ce point 7.

1Ord. n°2016-131, 10 févr. 2016, JO 11 févr.
2Cass. 3 e civ., 14 nov. 1985, n° 84-15.577, Bull. civ. III, n° 143, Rev. loyers 1986, p. 253, note Aubert J.-L., Administrer mai 1986, p. 28, JCP N 1987, II, p. 75, note Moury J.
3Cass. 3 e civ., 22 mars 2000, n° 98-13.345, Bull. civ. III, n°64.
4Et depuis lors, Cass. 3 e civ., 20 déc. 1994, n°92-19.490, Bull. civ. III, n°225, Loyers et copr. 1995, comm. n°125, RD imm. 1995, p. 154, note Capoulade P., Administrer juin 1995, p. 30, obs. Capoulade P.; Cass. 3 e civ., 22 juin 2005, n°04-12.540, Administrer mai 2006, p.36, note Barbier J.-D.
5Cass. 3 e civ., 4 janv. 1991, n°89-10.959, Bull. civ. III, n°2.
6Voir note 3, Cass. 3 e civ., 22 mars 2000, n°98-13.345, précité.
7Cass. 3 e civ., 12 juill. 2018, n°17-20.680, Loyers et copr. 2018, comm. n°207, note Coutant-Lapalus Chr.

Textes de la decision (extraits)

«(…) Réponse de la Cour
5. D’une part, aux termes de l’article 1166 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne.
6. En application de ce texte, il est jugé qu’un syndicat de copropriétaires a, en cas de carence du copropriétaire-bailleur, le droit d'exercer l'action oblique en résiliation du bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements, contraires au règlement de copropriété, causent un préjudice aux autres copropriétaires (3 e Civ., 14 novembre 1985, pourvoi n°84-15.577, Bull. 1985, III, n°143).
7. Il est jugé par ailleurs que, le règlement de copropriété ayant la nature d'un contrat, chaque copropriétaire a le droit d'en exiger le respect par les autres (3 e Civ., 22 mars 2000, pourvoi n°98-13.345, Bull. 2000, III, n°64).
8. Il en résulte que, titulaire de cette créance, tout copropriétaire peut, à l’instar du syndicat des copropriétaires, exercer les droits et actions du copropriétaire-bailleur pour obtenir la résiliation d’un bail lorsque le preneur méconnaît les stipulations du règlement de copropriété contenues dans celui-ci.
9. D’autre part, ayant retenu que la résolution n°12 de l’assemblée générale du 25 juin 2012 autorisant les travaux à réaliser par la société FMJ Scooter était, en ce qu’elle visait à l’acceptation des nuisances provoquées par l’activité de cette société, contraire aux stipulations du règlement de copropriété selon lesquelles chaque copropriétaire devait
veiller à ne rien faire qui pourrait troubler la tranquillité des autres occupants et que Simone B., informée par le syndic et les autres copropriétaires des nuisances occasionnées par l’activité de la société FMJ Scooter, n’avait pas engagé de
démarches en vue de permettre le respect du règlement de copropriété, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder
à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes.
10. La cour d’appel a retenu à bon droit que Mme F. et Andrei F., chacun en sa qualité de copropriétaire, étaient recevables à exercer, en lieu et place de Simone B., une action oblique en résiliation de bail à l’encontre de la société FMJ Scooter et a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois; (…) ».
Cass. 3 e civ., 8 avr. 2021, n°20-18.327, P