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Vote unique sur des questions indissociables et absence d’obligation de mise en concurrence pour l’architecte habituel de l’immeuble

Cass. 3 e  civ., 28 janv. 2021, n° 19-22.681, D

Mots-cles

Assemblée générale • Décisions indissociables • Vote unique • Mise en concurrence •Maîtrise d’œuvre • Architecte habituel

Textes vises

Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 - Article 17 et 21 - Décret n° 67-223 du 17 mars 1967 - Articles 17 et 19-2

Repere

Le Lamy Droit immobilier 2020, n°5360

Lorsque les questions relatives aux travaux et celles qui en sont la conséquence sont indissociables, les décisions les concernant peuvent être adoptées par l’assemblée générale au moyen d’un seul et même vote. Si le maître d’œuvre s’avère être l’architecte habituel de l’immeuble et qu’il a préalablement effectué l’analyse des offres, ces conditions excluent l’obligation de mise en concurrence portant ensuite sur la maîtrise d’œuvre.

Analyse

Lors d’une assemblée générale de 2013, d’importants travaux d’entretien de l’immeuble font l’objet d’une seule et même résolution.

Or, celle-ci porte tout à la fois sur six questions différentes, à savoir : la désignation de l’entreprise chargée de réaliser les travaux, celle de l’architecte devant les diriger, la fixation des honoraires de ce dernier ainsi que la souscription d’une assurance dommages-ouvrage, outre la détermination des honoraires du syndic et du calendrier des appels de fonds.

Soutenant que ces questions prises sous un vote unique concernaient en réalité plusieurs décisions distinctes et dissociables, des copropriétaires en sollicitent l’annulation.

Ils soulèvent également leur irrégularité, du fait de l’absence de mise en concurrence du contrat de maîtrise d’œuvre.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 juillet 2019 qui avait précédemment retenu l’attention1, décide que s’agissant de questions indissociables, celles-ci ne nécessitaient pas de votes distincts.

Elle relève que s’agissant de l’architecte habituel de la copropriété, proposé intuitu personae pour la maîtrise d’œuvre des travaux subséquents à l’analyse des offres qu’il avait effectuée, ces conditions excluaient l’application des dispositions de l’article 19-2 du décret du 17 mars 1967 relatif aux modalités de mise en concurrence pour les marchés et contrats2.

La Cour de cassation confirme la décision d’appel, illustrant en cela un véritable assouplissement jurisprudentiel.

En effet, en application des dispositions de l’article 17 de la loi du 10 juillet 19653 et de l’article 17 du décret du 17 mars 1967, l’assemblée générale doit émettre un vote séparé sur chacune des questions figurant à l’ordre du jour, à peine de nullité de la décision intervenue en méconnaissance de ce principe, lequel a notamment pour fondement la liberté de choix des copropriétaires4.

Mais tout principe comportant son exception, la jurisprudence admet d’y déroger lorsqu’il existe un lien suffisamment étroit entre les questions ayant fait l’objet d’un vote unique.

Encore faut-il, bien évidemment, que les décisions concernées soient soumises aux mêmes conditions de majorité.

Ainsi est-il possible par exemple de soumettre à un seul et même vote la question du renouvellement du contrat du syndic, l’approbation de son contrat ainsi que de sa rémunération (ce qui, du reste, semble précisément résulter de la rédaction même de l’article 29, alinéa 2, modifié par le décret du 27 mai 20045 )6. de fonds et l’acceptation des honoraires du syndic avaient le même objet que les travaux ou leur étaient nécessairement liés, faisant ainsi ressortir que ces questions étaient indissociables.

Pour toutes ces questions consécutives à la décision d’effectuer les travaux avec l’entreprise choisie, aucune ne nécessitait en effet un vote différencié. Aucune alternative n’était proposée s’agissant de la souscription de l’assurance dommages-ouvrage, ni concernant les honoraires du syndic, ni même en l’espèce, sur le choix du maître d’œuvre ayant préalablement procédé à l’analyse des appels d’offres pour sa mission d’exécution des travaux.

Curieusement en effet, la Cour de cassation relève que l’architecte habituel de la copropriété, auquel le syndic avait demandé d’établir une étude des offres pour les travaux soumis aux délibérations contestées, avait été proposé pour la maîtrise d’œuvre des travaux subséquents à l’analyse des offres, dans des conditions exclusives de l’application de l’obligation de mise en concurrence.

Cette dernière solution, si elle était ultérieurement confirmée, présenterait un intérêt pratique évident.

En effet, il arrive parfois que le syndicat des copropriétaires n’ait pas pris le soin de procéder à une mise en concurrence préalable pour la mission du maître d’œuvre, postérieure à l’appel d’offres.

En effet, on imagine mal qu’à ce stade, un autre maître d’œuvre soit mis en concurrence pour diriger des travaux préalablement prescrits et analysés par son confrère.

Pour autant, cela reste en théorie tout à fait possible.

Mais la solution dégagée ici par la Cour de cassation ne serait peut-être pas transposable, les faits de la cause étant particuliers, puisqu’il avait été notamment relevé qu’il s’agissait, au surplus, de l’architecte habituel de la copropriété.

1CA Paris, pôle 4, ch. 2, 24 juill. 2019, n° 16/00501, Administrer nov. 2019, n°536, p.46, note Bouyeure J.-R.
2D. n° 67-223, 17 mars 1967, JO 22 mars.
3L. n°65-557, 10 juill. 1965, JO 11 juill.
4Cass.3 e civ., 11 mars 1998, n°96-12.479, Bull. civ. III, n°59; Cass. 3 e civ., 26 sept. 2007, n°06-11.191, Bull. civ. III, n° 152.
5D. n°2004-479, 27 mai 2004, JO 4 juin.
6Cass. 3 e civ., 12 sept. 2019, n°18-18.880.

Textes de la decision (extraits)

« Énoncé du moyen
6. Par son premier moyen, M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la résolution n°20, alors « que chaque résolution votée par l'assemblée générale des copropriétaires ne peut avoir qu'un seul objet; qu'en refusant d'annuler la résolution n°20 prise lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 20 juin 2013, qui avait désigné l'entreprise chargée de réaliser des travaux, ainsi que l'architecte devant les diriger, qui avait fixé les honoraires de l'architecte et décidé de souscrire une assurance dommages-ouvrage et qui avait déterminé les honoraires du syndic et le calendrier des appels de fonds, en tant que cela ne nécessitait pas des délibérations distinctes, quand cette résolution, prise sous un vote unique, renfermait plusieurs décisions distinctes et dissociables, la cour d'appel a violé les articles 17 de la loi du 10 juillet 1965 et 17 du décret du 17 mars 1967. »
7. Par son deuxième moyen, M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la résolution n°21.1, alors « que chaque résolution votée par l'assemblée générale des copropriétaires ne peut avoir qu'un seul objet; qu'en refusant d'annuler la résolution n°21.1 prise lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 20 juin 2013, qui avait désigné l'entreprise chargée de réaliser des travaux, ainsi que l'architecte devant les diriger, qui avait fixé les honoraires de l'architecte et décidé de souscrire une assurance dommages-ouvrage et qui avait déterminé les honoraires du syndic et le calendrier des appels de fonds, en tant que cela ne nécessitait pas des délibérations distinctes, quand cette résolution, prise sous un vote unique, renfermait plusieurs décisions distinctes et dissociables, la cour d'appel a violé les articles 17 de la loi du 10 juillet 1965 et 17 du décret du 17 mars 1967.»
Réponse de la Cour
8. Ayant relevé que les éléments de décision supplémentaires relatifs à la désignation de l'architecte, au montant de ses honoraires et à l'assurance dommages-ouvrage n'entraînaient pas à eux seuls la nécessité de délibérations distinctes et que le calendrier des appels de fonds et l'acceptation des honoraires du syndic avaient le même objet que les travaux ou leur étaient nécessairement liés, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que ces questions étaient indissociables, en a exactement déduit qu'elles avaient pu faire l'objet d'un vote unique.
9. Le moyen n'est donc pas fondé. Sur les premier et deuxième moyens, pris en leurs quatrièmes branches, réunis
Énoncé du moyen
10. Par son premier moyen, M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la résolution n°20, alors « que l'assemblée générale des copropriétaires peut arrêter un montant des marchés et des contrats à partir duquel une mise en concurrence est rendue obligatoire, laquelle résulte de la demande de plusieurs devis ou de l'établissement d'un devis descriptif soumis à l'évaluation de plusieurs entreprises; qu'en considérant enfin, pour ne pas annuler la résolution n°20, que M. U... était devenu l'architecte habituel de la copropriété pour avoir effectué la reprise d'un ravalement à la suite d'un contentieux avec un autre architecte qui n'avait pas donné satisfaction au syndicat, que le procès-verbal d'assemblée générale du 18 mai 2011 établissait que les copropriétaires avaient maintenu leur confiance envers cet architecte en dépit d'un conflit survenu entre lui et l'ancien syndic et que c'était dans ces circonstances que M. U... avait été proposé pour la maîtrise d'œuvre des travaux subséquents à l'analyse des offres, dans des conditions exclusives de la mise en concurrence pour les travaux susceptibles de devis et sans violation de l'obligation de mise en concurrencepour les marchés et contrats de plus de 1 600 € décidée par l'assemblée générale du 14 mai 2012, quand l'annulation était encourue à raison de ce que le seuil à partir duquel la mise en concurrence était obligatoire avait été arrêté à la somme de 1 600 € et que M. U..., avec lequel il était prévu de conclure un contrat d'architecte d'un montant supérieur à cette somme, était le seul architecte proposé pour suivre les travaux sans mise en concurrence, la cour d'appel a violé les articles 21 de la loi du 10 juillet 1965 et 19-2 du décret du 17 mars 1967. »
11. Par son deuxième moyen, M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la résolution n°21.1, alors « que l'assemblée générale des copropriétaires peut arrêter un montant des marchés et des contrats à partir duquel une mise en concurrence est rendue obligatoire, laquelle résulte de la demande de plusieurs devis ou de l'établissement d'un devis descriptif soumis à l'évaluation de plusieurs entreprises; qu'en considérant enfin, pour ne pas annuler la résolution n°21.1, que M. U... était devenu l'architecte habituel de la copropriété pour avoir effectué la reprise d'un ravalement à la suite d'un contentieux avec un autre architecte qui n'avait pas donné satisfaction au syndicat, que le procès-verbal d'assemblée générale du 18 mai 2011 établissait que les copropriétaires avaient maintenu leur confiance envers cet architecte en dépit d'un conflit survenu entre lui et l'ancien syndic et que c'était dans ces circonstances que M. U... avait été proposé pour la maîtrise d'œuvre des travaux subséquents à l'analyse des offres, dans des conditions exclusives de la mise en concurrence pour les travaux susceptibles de devis et sans violation de l'obligation de mise en concurrence pour les marchés et contrats de plus de 1 600 € décidée par l'assemblée générale du 14 mai 2012, quand l'annulation était encourue à raison de ce que le seuil à partir duquel la mise en concurrence était obligatoire avait été arrêté à la somme de 1 600 € et que M. U..., avec lequel il était prévu de conclure un contrat d'architecte d'un montant supérieur à cette somme, était le seul architecte proposé pour suivre les travaux sans mise en concurrence, la cour d'appel a violé les articles 21 de la loi du 10 juillet 1965 et 19-2 du décret du 17 mars 1967. »
Réponse de la Cour
12. Ayant relevé que M. U... était l'architecte habituel de la copropriété et que le syndic lui avait demandé d'établir l'étude des offres pour les travaux soumis aux délibérations contestées, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il avait été proposé pour la maîtrise d'œuvre des travaux subséquents à l'analyse des offres, dans des conditions exclusives de l'application de l'obligation de mise en concurrence.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
(…)
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;(…) »
Cass. 3 e civ., 28 janv. 2021, n°19-22.681, D