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Baux d’habitation et Covid-19 après l’ordonnance n°2020 – 347 du 15 avril 2020 et la loi n° 2020 – 546 du 11 mai 2020

Concernant la délivrance des commandements de payer, congés et procédures en expulsion


Afin de faire face aux conséquences juridiques de l’épidémie de Covid-19, le Parlement a adopté la loi ordinaire n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence instaurant un état d’urgence sanitaire et habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances.

Différentes règles de droit, dont celles relatives aux baux d’habitation se sont trouvées ainsi modifiées par ordonnance, notamment en matière de délivrance d’actes (commandements de payer et congés) et de procédure d’expulsion.

Pour rappel, l’obligation au paiement du loyer d’habitation subsiste durant l’état d’urgence sanitaire.

En effet, contrairement aux loyers commerciaux et professionnels, le loyer d’habitation n’a fait l’objet d’aucune neutralisation des mesures de recouvrement.

Ainsi, l’urgence sanitaire ne devrait, en principe, pas faire obstacle à la poursuite des opérations d’expulsion ou aux instances en expulsion pour impayés de loyers.


I – PROCÉDURES EN COURS ET ACHEVÉES

Sont visées, les instances pendantes ainsi que les procédures sanctionnées par la délivrance d’un titre exécutoire.

Pour les premières, en raison du plan de continuité des activités juridictionnelles des tribunaux, les audiences et les délibérés en cours sont reportés à des dates ultérieures.

S’agissant des procédures dont les titres exécutoires sont déjà délivrés, il faut tenir compte de la trêve hivernale et des conditions de délivrance des commandements de quitter les lieux.

  • Sur la trêve hivernale

La trêve hivernale est la période durant laquelle les décisions d’expulsion ne peuvent être exécutées.

Conformément aux dispositions de l’ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020, article 1er, la trêve hivernale, courant d’ordinaire chaque année du 1er novembre au 31 mars de l’année qui suit, a, dans un premier temps, été prolongée de 2 mois, soit jusqu’au 31 mai 2020.

Puis, afin de s’adapter à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au 10 juillet 2020, l’Assemblée Nationale a voté le 8 mai dernier un nouveau report de la fin de la trêve hivernale à cette même date.

Il s’ensuit qu’aucune opération d’expulsion ne pourra être entreprise jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.

Ces dernières devraient reprendre sauf prorogation à compter du 11 juillet 2020 pour se terminer le 31 octobre 2020.

En matière d’expulsion, les opérations d’exécution forcées peuvent être conduites si le jugement a été assorti de l’exécution provisoire.

En effet, la trêve hivernale n’empêche pas d’initier la procédure en expulsion, à savoir délivrer un commandement de quitter les lieux au locataire déchu de son titre d’occupation ou un commandement de payer au locataire indélicat.

  • Sur les commandements de quitter les lieux

Comme susmentionné, la trêve hivernale ne fait pas obstacle à la délivrance des commandements de quitter les lieux dans la mesure où ils n’ouvrent pas de délai de recours, mais seulement un délai pour une exécution volontaire.

Par conséquent, tous les bailleurs disposant d’un titre exécutoire d’expulsion peuvent accomplir les actes préparatoires à l’expulsion en vue de la fin de la trêve hivernale.

Ainsi, sauf prorogation de la trêve hivernale et refus du concours de la force publique, les opérations d’expulsion pourront reprendre au 11 juillet 2020.

Il sera rappelé que les squatteurs, « personnes entrées sans droit ni titre dans le logement » sont exclus du bénéfice de la trêve hivernale, de sorte que leur expulsion peut être poursuivie à tout moment.

En tout état de cause, la trêve hivernale reporte l’expulsion mais pas l’instance en expulsion qui reste normalement (en tenant compte des restrictions à l’activité juridictionnelle des tribunaux en période actuelle) ouverte au bailleur.


II – PROCÉDURES À INTERVENIR

Outre le gel des procédures d’expulsion, la délivrance des congés et des commandements de payer a été sensiblement réformée en raison de l’état d’urgence sanitaire.

À ce titre, l’article 1, I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 définit une période juridiquement protégée qui court « entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus », sauf prorogation.

Par ailleurs, aux termes des dispositions de l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars susvisée :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. ».

Seuls sont concernés, les délais légaux à l’exclusion des délais conventionnels et qui expirent durant cette période dite juridiquement protégée.

Ces articles ne prescrivent pas une interruption ou suspension générale des délais légaux, de sorte que les actes peuvent toujours être effectués.

En conséquence, les congés et les commandements de payer peuvent être délivrés afin de préserver les droits des bailleurs, d’autant plus que l’obligation au paiement des loyers subsiste.

Exemple : Action en recouvrement de loyers impayés

Un bailleur souhaite assigner un ancien locataire en paiement de l’arriéré locatif arrêté au 15 mars 2017.

Conformément aux dispositions de l’article 7-1 alinéa 1er de la loi du 6 juillet 1989 tendant à l’amélioration des rapports locatifs, le bailleur dispose de 3 années pour exercer son action, à savoir jusqu'au 15 mars 2020 dans notre espèce.

Par le jeu de la période juridiquement protégée, le délai d’action du bailleur échu au 15 mars 2020 sera interrompu le temps de l’état d’urgence (10 juillet 2020), prorogé d’un mois (10 août 2020).

Dès lors, le délai pour agir court de nouveau après le 10 août 2020, dans la limite de deux mois (10 octobre 2020).

Le bailleur disposera ainsi d’un délai jusqu'au 10 octobre 2020 pour intenter son action en paiement de la dette locative.

  • Sur la délivrance des commandements de payer


En la matière, l’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19 apporte des précisions quant au report des effet des clauses prescrite par l’ordonnance n°2020-306 précitée.

Deux alinéas (2 et 3) sont ainsi ajoutés à l’article 4 de ladite ordonnance.

Aux termes de ce nouvel article 4 de l’ordonnance n°2020-306,

« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.

Si le débiteur n'a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d'une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation, autre que de sommes d'argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l'article 1er, est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période.


Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er.
».

En d’autres termes, les effets relatifs aux commandements de payer dont la clause résolutoire devait prendre effet à compter du 12 mars 2020 sont reportés :

  • soit d’une durée égale à celle restant à courir entre le début de la période juridiquement protégée et la date à laquelle l’obligation aurait dû être exécutée ;

    Par exemple :

    • Un commandement de payer délivré le 12 janvier 2020 et une clause résolutoire devant être acquise en cas d’inexécution le 12 mars 2020, soit le jour du début de la période juridiquement protégée. La clause résolutoire sera finalement acquise un jour après la fin de cette période, à savoir le 11 août 2020 en l’état actuel des textes.
    • Un commandement de payer délivré le 1er février 2020 et une clause résolutoire prenant en cas d’inexécution effet le 1er avril 2020, soit 20 jours suivant le début de la période juridiquement protégée. La clause résolutoire produira effet 20 jours après la fin de cette période, soit le 30 août 2020.

  • soit d’une durée égale à celle comprise entre la date de naissance de l’obligation et la date à laquelle elle aurait dû être exécutée si l’obligation est née postérieurement au début de la période juridiquement protégée, à savoir le 12 mars 2020.

    Par exemple :

    • Un commandement de payer délivré le 15 avril 2020 et une clause résolutoire devant en cas d’inexécution prendre effet deux mois plus tard, soit le 15 juin 2020. L’obligation étant née postérieurement au 12 mars 2020, il faut tenir compte de l’intervalle compris entre la date de naissance de l’obligation et la date à laquelle elle aurait dû être exécutée (15 avril 2020 – 15 juin 2020) pour calculer la durée du report. Ainsi la clause produira effet deux mois après la fin de la période juridiquement protégée, soit le 10 octobre 2020.
    • • Solution identique pour une obligation née pendant la période juridiquement protégée et dont la date d’exécution est hors période juridiquement protégée. Ainsi, pour un commandement de payer délivré le 15 juin et une clause résolutoire acquise le 15 août 2020 en cas d’inexécution, les effets de la clause résolutoire seront reportés au 10 octobre 2020 soit deux mois après la fin de la période juridiquement protégée.

A contrario, les commandements de payer délivrés antérieurement au 11 janvier 2020 conservent tous les effets attachés à l’acquisition de la clause résolutoire.

***

Cependant, il en irait différemment pour un commandement délivré pour défaut d’assurance locative – obligation autre que de somme d’argent (alinéa 3 de l’article 4 précité) – où il faut tenir compte de la période effectivement impactée par les mesures d’urgence.

Pour un tel commandement délivré le 4 août 2020 (6 jours avant la fin de la période juridiquement protégée) prenant effet un mois plus tard, à savoir le 4 septembre 2020, les effets de la clause résolutoire sont reportés au 16 septembre 2020, soit 1 mois et 6 jours après la fin de la période juridiquement protégée.

  • Sur la délivrance des congés

Le congé permet au bailleur ou au locataire de mettre prématurément fin au contrat de bail. Il est soumis à peine de nullité à des conditions de délais stricts. Si le bailleur donne obligatoirement congé pour la fin du bail, le locataire peut notifier congé à tout moment.

Aux termes de l’article 5 de l’ordonnance n°2020-306,

« Lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent durant la période définie au I de l'article 1er, de deux mois après la fin de cette période. ».

Il en résulte que si le délai de préavis expire durant la période juridiquement protégée (entre le 12 mars 2020 et le 10 août 2020), il est prolongé de deux mois, soit jusqu'au 10 octobre 2020.

En revanche si le congé devait être délivré au plus tard le 11 mars 2020, le bailleur ne peut se prévaloir des mesures de prorogation, le congé délivré postérieurement au 11 mars sera tardif et le bail reconduit.

Tableau récapitulatif



Congé bailleurCongé locataire
Bail non-meublé (préavis 6 mois)Bail meublé (préavis 3 mois)Préavis normal (3 mois)Préavis réduit (1 mois)
Ex 1 : congé au 22 juin 2020 pour un bail échu au 22 décembre 2020.

Délivrance congé possible jusqu’au 10 octobre 2020.

Ex 2 : Congé délivré au 12 septembre 2019 pour effet au 12 mars 2020 (Voir effet congé antérieur ou concomitant à la période d’urgence sanitaire pour locataire)

Au regard du contexte sanitaire, le locataire qui souhaite effectivement libérer les lieux doit justifier d’un déplacement dérogatoire pour motif impérieux familial ou professionnel, étant précisé que les activités des entreprises de déménagement sont suspendues1.
Ex : congé au 30 mars 2020 pour un bail échu au 30 juin 2020.

Délivrance congé possible jusqu'au 10 octobre 2020 (soit postérieurement à la date d’échéance du bail).

Il subsiste naturellement une difficulté quant à la reconduction des baux dénoncés après leur date anniversaire.
Une loi de ratification prévue avant le 25 mai 2020 doit intervenir afin d’apporter plus d’éclaircissement.
Ex 1 : Congé notifié le 31 janvier 2020 pour effet au 30 avril 2020.

Ex 2 : Congé notifié le 11 décembre 2019 pour effet au 11 mars 2020

> effet du congé antérieur ou concomitant à la période d’urgence sanitaire, mais libération des lieux impossible en raison notamment du confinement.

Le bail prendra fin à la date d’effet du congé avec maintien dans les lieux possible contre obligation au paiement d’une indemnité d’occupation équivalente au montant du loyer contractuel (et charges) jusqu'à libération effective des lieux.

À noter que dans une note publiée le 7 avril 2020, le ministère de la justice a précisé que la période comprise entre le terme du bail et la prise d’effet réelle du congé délivré pouvait être considérée comme « une période exceptionnelle de prorogation temporaire du bail2 ».
Ex : congé notifié le 30 juin 2020 avec effet au 31 juillet 2020

> effet du congé postérieur à la période d’urgence sanitaire, pas de difficultés.

Le bail prendra fin à la date d’effet du congé et le locataire devra libérer les lieux comme prévu, sauf prorogation éventuelle de l’état d’urgence sanitaire.


En tout état de cause, il convient de noter que les délais de préavis pour les locataires demeurent inchangés et reportent de fait l’échéance du bail.

Ainsi, si l’on reprend le premier exemple du tableau :

=> Congé au 22 juin 2020 pour un bail échu au 22 décembre 2020. Le bailleur pourra délivrer congé jusqu'au 10 octobre 2020.

Le préavis de 6 mois du locataire demeurant inchangé, il devra quitter les lieux au plus tard le 10 avril 2021, soit près de quatre mois après le terme du bail initial fixé au 22 décembre 2020.

Les bailleurs n'ont, en conséquence, aucun intérêt à reporter la date de délivrance de leur congé en dépit de la situation d’urgence sanitaire actuelle et ce, afin de ne pas augmenter le délai de libération des lieux.

***

En conclusion, il est vivement recommandé, par sécurité juridique, de délivrer congés, commandements de payer et autres actes sans attendre la fin de la période juridiquement protégée afin de préserver les droits des bailleurs.



1 Dans l’hypothèse où vous pouvez justifier d’un motif impérieux qui vous permet de quitter votre logement pendant cette période, voici quelques modalités en sus des modalités d’usage à respecter en cas de fin de bail :
  • Mettre toutes les clefs et/ou bips du logement remis à votre entrée dans une enveloppe,
  • Relever les compteurs (électricité, eau…) avec photo à l’appui et préciser sur courrier signé les relevés ;
  • Indiquer votre nouvelle adresse au bailleur ;
  • Adresser l’ensemble en courrier RAR ;
  • Confirmer par mail la remise des clés (si possible avec le numéro du RAR, ou, comme justificatif une photo de votre envoi) ;
  • Fermer les arrivées diverses (eau, gaz…),
  • Dégivrer et laisser la porte ouverte du réfrigérateur si l’appartement en est équipé ;
  • L’état des lieux de sortie sera réalisé par nos soins dès que les mesures de confinements seront levées…


2 Ministère de la Justice, Direction des affaires civiles et du sceau, Conséquences de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 en matière de baux d’habitation lors de la délivrance d’un congé par le bailleur, 7 avril 2020, Télécharger